La Société de criminologie rend hommage au Père Jean Patry

9 Décembre 2015

En novembre dernier le père Jean Patry a reçu le prix Noël-Mailloux de la Société de criminologie du Québec. Cette récompense concordait également avec la publication du livre En toute liberté (édition Novalis 2015).

Pour l’occasion, Marie-Eve Dorion, bénévole au CSJR, a discuté avec l’aumônier à la retraite. Une rencontre inspirante qui nous amène à poser un tout autre regard sur le milieu carcéral.

Vous avez consacré votre vie à l’écoute et la réhabilitation des détenus, d’où vous vient cette vocation?

Alors que certains pensent que rien ne me prédisposait à devenir aumônier, j’aime penser que c’est plutôt le contraire. J’ai été élevé dans un milieu très ouvert et depuis que je suis jeune, j’ai toujours été attiré par le monde marginal. Jeune, j’étais également très turbulent. Je dis toujours que ces coups-là m’ont préparé pour aller en prison. Le fait de voler ne serait-ce que de petites choses, m’ont amené à comprendre les sentiments qui accompagnent un acte délictuel.

Toute ma vie, j’ai simplement suivi mes intuitions profondes. Alors moi je n’aime pas dire le mot appel, je n’aime pas la formulation « Dieu m’a appelé », je préfère dire que Dieu m’a séduit au cours des années. Des petites séductions à travers des objets, des personnes, à travers des films par exemple « les anges du pêchés », le travail des prêtres-ouvriers, le parrainage spirituel, tous des éléments qui m’ont séduit. Je me suis ainsi simplement dirigé vers la voix ou j’étais le plus à l’aise. Je n’ai jamais pensé être prêtre pratiquant en paroisse. JAMAIS. Et quand je suis arrivé à la prison de Bordeaux et bien là je me suis dit « je vais mourir ici ». J’étais à la bonne place.

Durant vos 38 années derrière les barreaux vous avez été témoin de nombreux changements dans le milieu carcéral. L’un d’entre eux est certainement l’apparition de concepts comme la justice réparatrice. Pouvez-vous définir, en vos propres mots, ce qu’est la justice réparatrice ?

J’aborde le sujet dans mon dernier livre et j’avais bien peur de mal définir le concept. On m’a pourtant rassuré que ma vision était très bonne. Pour moi la justice réparatrice c’est lorsqu’on permet à deux personnes, une victime et un agresseur, de se rencontrer. Pour arriver, par le dialogue, à ce que la personne qui a agressé se responsabilise et réalise le mal qu’elle a pu faire. Celle qui a été blessée peut, suite à l’échange, comprendre un peu le cheminement d’une personne qui en a blessé une autre. Puis à travers ce processus, ils arrivent à des transformations, des fois à un pardon et parfois même à une réconciliation.

Mais la justice réparatrice ça va plus loin que ça. L’esprit de collectivité est une importante dimension du concept. Nous organisions de nombreux ateliers à cet effet-là. Toujours des activités à connotations pastorales, en lien avec la communauté. Par exemple; une journée de ressourcement, on partait le matin avec les détenus, on voulait faire découvrir la prière au service des pauvres. Et à l’époque, on avait toujours du monde qui venait à nos activités qui venaient de la collectivité, de la communauté. J’ai souvenir d’un policier qui participait à nos rencontres. Les gars étaient toujours surpris d’apprendre sa profession. Ça rappelait au gars que c’était quelqu’un comme tout le monde.

Et on a fait rentrer des bénévoles, surtout des femmes. Les gars disaient « mais c’est extraordinaire que ces femmes-là soient disponibles comme ça, à Noël, à Pâques même, le dimanche. Elles pouvaient rester chez elles. » Ça faisait réaliser aux gars que le citoyen est accueillant, la collectivité les accueillait et donnait gratuitement. Ça aussi c’est de la dimension réparatrice.

Vous avez tenu les propos suivants : « Je me disais que je devais accueillir sans juger, sans questionner (…) ».

Le détenu vient me voir et je le prends tel qu’il est. Avec le crime qu’il a fait, même si c’est un crime de répulsion.

C’est l’amour et l’accueil inconditionnel d’une personne. Mais ça, ce n’est pas toujours facile à vivre. Je n’ai jamais demandé à un détenu pourquoi il était en prison. J’ai appris ça très jeune. En plus, à ne pas poser de questions, tu apprends beaucoup plus sur une personne. Et ce n’est pas pour qu’on m’en dise plus. C’est par principe. C’est pour respecter le jardin secret d’une personne. Depuis toujours, ces détenus ont été questionnés, et questionnés. Que quelqu’un les accueille sans poser de questions, c’est extraordinaire. Ne pas questionner ne signifie pas pour autant que je cautionnais le mal, au contraire, je souhaite simplement nourrir le bien chez chaque personne qui venait à ma rencontre.

Jamais je n’ai brisé ce lien de confiance. Même dans des situations où l’on me pressait de révéler ce qui m’avait été confié, je ne révélais jamais rien. Ma réputation s’est forgée au moment où j’ai refusé de révéler le nom d’un gars à ses supérieurs. Dès cet instant, les gars ont su qu’il pouvait me parler en toute confidentialité. C’est précieux cette confiance.

Quel est l’aspect le plus difficile du métier d’aumônier ?

J’ai toujours trouvé très difficile lorsqu’un détenu s’enlevait la vie. Et je me rendais dans la cellule, et je donnais l’Onction des malades même si ce n’était pas théologique de la donner. Je le faisais pour que les personnes qui étaient dans la cellule; prisonniers, gardiens, etc. Pour que ces personnes prennent conscience de la dignité du corps.

Un autre élément que je trouvais particulièrement difficile c’est l’obstruction souvent que certains surveillants pouvaient faire. Quand nous avions une activité par exemple, on appelait et ça retardait. Il y en a qui ne croyait pas en ce que l’on faisait. Qui n’y croyait pas à la pastorale. Alors ces personnes mettaient des obstacles. C’était très épuisant avoir à se battre constamment au niveau institutionnel.

Toutefois, derrière ces difficultés, il y avait de grandes consolations. Il y avait des choses extraordinaires qu’on vivait avec les détenus. Par exemple, les retraites que je faisais en prisons étaient sources particulières de belles choses. Des fois, je me disais j’aimerais dont ça que les gens puissent voir ce qui se passe ici, ce qui se dit ici.

Je dis souvent que j’ai été humanisé en prison. Et évangélisé en prison. Les gars vivaient l’Évangile sans même s’en rendre compte. Des pardons, des générosités, des partages, des gars qui amenaient d’autres gars à la chapelle. J’ai vécu des grands moments, des beaux moments.

Il est possible d’observer au sein de la population québécoise un intérêt accru pour le milieu carcéral. Des télé-séries comme Unité 9, nous plongent dans le quotidien des détenus. Que pensez-vous de ces scénarios?

L’environnement carcéral est un environnement qui nourrit la curiosité. Je trouve que c’est très réel comme représentation, mais il y a bien évidemment certaines choses scénarisées qui sont fausses. Je trouve qu’il y a beaucoup de négatifs dans l’émission.

Néanmoins, ces télé-séries sensibilisent les gens au monde carcéral, mais qu’il y ait de la violence en continuité, ça c’est moins réel. Une comparaison peut être faite avec mon premier livre ou je relate certains épisodes violents que j’ai vécus, mais c’était tout de même échelonné sur 38 ans.

Dans le scénario d’Unité 9, l’analogie que je trouve intéressante à faire avec mes expériences personnelles, c’est qu’on dirait que certaines personnes qui étaient auparavant méchantes deviennent plus gentilles. Je peux témoigner de certaines de ces transformations morales au courant de mon travail. On voit une transformation chez les personnages, des relations qui changent, on voit un désir de changement. Ce genre de transformation, c’est ce qu’on peut observer dans les pénitenciers.

Le prix Noël-Mailloux est décerné à un praticien du domaine de la justice pénale et de la criminologie, quel que soit son secteur de travail qui se serait distingué dans son milieu par des actions méritoires. Il va sans dire que lorsqu’on s’attarde à regarder le travail phénoménal que vous avez accompli, cette récompense n’était qu’évidence !

Pour être complètement franc, et je vous le jure, je me sentais comme un imposteur ! J’ai travaillé en prison toutes ces années, et habituellement on donne ce prix à des personnes qui ont écrit des thèses, des académiciens. C’est incroyable qu’on ait pensé à moi, je suis tellement touché par ce prix et sa signification. Noël-Mailloux était un père dominicain, et il a fondé l’école de psychologie, il était très impliqué pour faire avancer les mentalités et la recherche, je suis plus qu’honoré qu’on ait pensé à moi sur ce plan.

Les ouvrages du Père Jean sont disponibles sur le site internet des éditions Novalis. Il est également un des fondateurs de l’organisme communautaire L’Oasis Liberté, qui accompagne et soutient d’anciens détenus.  

Le Centre de services de justice réparatrice félicite le Père Jean pour le prix qu’il vient de recevoir et l’ensemble de son engagement auprès des personnes incarcérées.

 

 

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