Inquiétude devant de nombreuses coupures dans le milieu de la réintégration sociale

14 mai 2015

Plusieurs organismes et programmes sont aujourd’hui menacés.

Le Journal de Montréal a fait paraître le 10 mai 2015 un article intitulé « Criminels laissés à eux-mêmes » qui s’inquiète: « Plus de 2500 criminels québécois, dont plusieurs à haut risque de récidive, seront bientôt privés d’encadrement parce que les organismes qui leur venaient en aide ont été écartés par le gouvernement Harper. Le milieu communautaire affirme craindre pour la sécurité de la population ».

Le réseau de l’ASRSQ (Association des services de réhabilitation sociale du Québec), dont le CSJR est membre, est gravement touché par les coupures.

Voici la lettre ouverte parue à ce sujet le 14 mai:

Pour une réintégration sociale et communautaire réussie

– Lettre ouverte –

Par David Henry, coordonnateur aux programmes et aux communications, ASRSQ

Depuis plusieurs mois, le Service correctionnel du Canada (SCC) a choisi de supprimer des services offerts aux détenu(e)s par des bénévoles et/ou des professionnels dans la communauté et en détention. Ces coupures ont des impacts non seulement sur les personnes détenues mais aussi sur l’ensemble de la communauté car ces services en favorisant la réintégration sociale et communautaire permettaient d’assurer une meilleure protection du public.

Une simple énumération permet d’en comprendre instantanément l’ampleur :

Option-Vie

Le programme Option-Vie a été créé suite à une reconnaissance que les personnes sentencées à vie présentent des besoins très particuliers dès leur admission au pénitencier, durant leur séjour et au moment de réintégrer la société. Il employait avec succès d’anciens prisonniers réinsérés qui encadraient les détenus. Le programme Option-Vie a gagné plusieurs  prix pour son travail qui a fait que les prisonniers libérés soient moins susceptibles de devenir des récidivistes. Le nombre de condamnés à perpétuité ayant bénéficié des services Option-Vie en 2010-2011 était d’environ 2 280 au Canada.

Service d’employabilité en détention et en communauté

Le SCC a mis fin aux services d’employabilité donnés en détention par des organismes spécialisés et a coupé le financement de moitié pour les services offerts dans la communauté par ces mêmes organismes. Ce sont 9 pénitenciers au Québec qui ont perdu ces services qui rejoignaient plus de 2 000 détenus par année. Ces organismes qui possèdent plus de 40 ans d’expertise ont des taux de placement de l’ordre de 60 à 70% ce qui ressemble au taux de placement dans un centre local d’emploi « ordinaire ».

Coupures dans les programmes d’accompagnement/bénévolat dans les établissements et en communauté

Au 1er juin, le contrat de coordination des bénévoles que l’Établissement Joliette avait conclu avec la Société Élisabeth-Fry du Québec (et ce depuis l’ouverture de l’établissement de détention) sera terminé et non renouvelé. Ce contrat d’une valeur de 50 000$ permettait à un organisme communautaire d’encadrer les citoyens qui faisaient du bénévolat au sein de l’établissement. Le bénévolat au sein des établissements correctionnels est primordial pour permettre aux personnes détenues d’avoir un contact avec l’extérieur ce qui favorise leur réintégration sociale par la suite.

Il existait également des contrats de coordination des bénévoles dans la communauté (dans la région de Montréal et Sherbrooke notamment) mais ces programmes ont également été coupés.

Arrêt du financement des programmes spécialisés offerts aux délinquants sexuels par des organismes reconnus

Avec l’implantation du MPCI (modèle de programme correctionnel intégré) au sein du SCC, 6 organismes qui offraient des programmes spécialisés dans le traitement des délinquants sexuels en communauté depuis de nombreuses années ont été coupés. Ce sont de 60 à 70 délinquants sexuels qui ne bénéficieront plus de ces services. Les délinquants sexuels présentent un profil de délinquance particulier et l’ASRSQ doute qu’un programme généraliste « adapté » qui plus est donné par des personnes non formé en délinquance sexuelle puisse convenir… Rappelons également que pour les services correctionnels la prise en charge de l’individu s’arrête au moment où la sentence est terminée. Au contraire, l’organisme spécialisé demeure parfois un point d’ancrage après la sentence ce qui permet d’assurer une meilleure protection de la communauté.

Arrêt du financement des cercles de soutien et de responsabilité du Québec

Les cercles de soutien et de responsabilité (CSR) sont constitués de trois à quatre bénévoles qui s’engagent à soutenir, émotionnellement et de façon pratique, un délinquant sexuel à haut risque de récidive qui réintègre la société après une peine d’emprisonnement. Les bénévoles sont secondés par des spécialistes et travaillent en collaboration avec des organismes communautaires et des professionnels tels des psychologues, des agents de libération conditionnelle ou de probation, la police et les tribunaux. Selon le rapport de recherche du SCC (No R-185, 2008) : « les délinquants qui ont participé à un CSR présentent, pour tous les types de récidive, un taux notablement inférieur à celui des délinquants du groupe témoin qui n’ont pas participé au CSR. Plus précisément, on trouve chez les premiers une réduction de 83 % dans la récidive sexuelle par rapport au groupe témoin (2,1 % vs 12,8 %), une réduction de 73 % pour tous les types de récidive avec violence (notamment sexuelle : 8,5 % vs 31,9 %) et une réduction globale de 72 % dans tous les types de récidive (notamment avec violence et sexuelle : 10,6 % vs 38,3 %) ». Le SCC a décidé de ne plus financer ces services pourtant, seulement 80 000$ suffirait à faire fonctionner les CSR au Québec. Si on couple cette décision avec l’abolition de certains programmes spécialisés en délinquance sexuelle, on se retrouve assis collectivement sur une bombe à retardement.

Arrêt du financement de l’association de rencontres culturelles avec les détenus (ARCAD)

Un des objectifs de l’ARCAD est d’assurer régulièrement des rencontres libres et constructives entre les détenus et les membres de la communauté, des bénévoles. Plusieurs types d’activités sont proposés (sports, jeux, arts, etc.) mais peu importe le type de rencontres, c’est toujours un prétexte pour amener la personne incarcérée à adopter un autre comportement en suivant l’exemple d’un citoyen qui devient une sorte de modèle. Ce contact avec le monde extérieur constitue pour certains la première étape de la réintégration sociale et communautaire. L’ARCAD rencontre encore souvent des détenus qui sont complètement coupés de contact avec leur famille. Au cours des 12 derniers mois, l’Association a réalisé près de 200 activités à l’intérieur des murs des cinq pénitenciers de la région de Montréal avec la participation de dizaines de bénévoles. Les détenus ont répondu avec 2250 présences. La valeur du contrat annuel résilié est 70 000$. Il couvre les frais liés à la permanence et le salaire du seul employé rémunéré.

Conclusion

Ces exemples démontrent le changement de philosophie qui est en train de s’opérer au sein du SCC. En cherchant à isoler davantage la population carcérale et à couper les liens avec la communauté, le SCC s’éloigne d’une part importante de sa mission qui consiste à « la mise sur pied de programmes contribuant à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale ainsi qu’à la préparation des détenus à leur libération » (Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition). Les organismes communautaires ainsi que les bénévoles sont indispensables à un processus de réintégration sociale réussi ce qui garantit une meilleure sécurité de nos communautés en limitant les récidives potentielles. Au-delà des services et des personnes qui sont directement affectées par ces décisions, ce virage pourrait poser des risques importants en termes de sécurité publique. N’oublions pas que plus de 90% des détenus, peu importe la durée de l’emprisonnement, vont sortir un jour de détention. Avec quel type d’encadrement, de suivi et de services ces personnes devraient réintégrer la communauté? L’ASRSQ croit fermement que la réintégration sociale et communautaire est le meilleur moyen de protéger nos communautés à long terme mais pour être réussie, il faut offrir de l’encadrement et des services adéquats aux personnes en détention et à leur sortie.

L’ASRSQ demande donc au SCC de revenir sur ces décisions qui viennent briser un partenariat historique avec des organismes communautaires spécialisés et qui pourraient contribuer à compromettre la sécurité de nos communautés.

Pour terminer, soulignons que dans son rapport déposé le mardi 28 avril 2015, le vérificateur général, M. Michael Ferguson, constate que les délinquants fédéraux purgent un plus grand pourcentage qu’avant de leur peine derrière les barreaux, ce qui réduit d’autant la période de transition qu’ils passent dans la collectivité et que cela accroît les risques de récidive. Il note également que de plus en plus de délinquants se trouvant dans des prisons à sécurité moyenne ou maximale sont directement relâchés dans la communauté plutôt que d’être envoyés au préalable dans des établissements à sécurité inférieure. Les constats du vérificateur général rejoignent ceux de l’enquêteur correctionnel. Cet automne, M. Sapers avait noté que 71 % de toutes les libérations se faisaient désormais en libération d’office. Tous ces avertissements, couplés aux coupures des différents programmes et services exposés plus haut, devraient être pris au sérieux et sont très inquiétants en termes de sécurité publique.

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Pour plus d’informations, contactez :

David Henry au 514-521-3733; cell : 514-602-1521; courriel : dhenry@asrsq.ca

Patrick Altimas au 514-521-3733; courriel : paltimas@asrsq.ca

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