Et si le crime nous concernait tous ? Échange au café jasette

27 novembre 2012

Le 21 novembre, une soixantaine de personnes se sont retrouvées au café La petite cuillère à Montréal, dans le cadre d’un café-jasette sur le thème «Et si le crime nous concernait tous ?».

Voici les échos d’une des participantes :

La justice réparatrice permet « d’élargir sa vision ». Cette phrase a pris toute sa signification lors du «  Café-jasette », co-organisé par l’équipe de café jasette et le CSJR, dans le cadre de la Semaine nationale de la justice réparatrice.

Élargir sa vision sur la justice, sur la société et sur l’humain, c’est que cette soirée, riche en partage et émotions, nous a montré concrètement.

Fabien TORRES a, tout d’abord, rappelé l’importance que nous, en tant que citoyens,  pouvions avoir sur la justice. Comment nous avions un rôle à jouer dans notre regard et notre attitude envers le délinquant et la victime. Nous sommes des acteurs de cette justice et c’est par notre compréhension et notre ouverture d’esprit, sans fermer les yeux, que nous avons, nous aussi, le pouvoir de faire changer les choses.

La justice réparatrice est un jeu de projections où chacun a son rôle à jouer et renvoie quelque chose de lui-même à l’autre, comme l’ont démontré les intervenants de cette soirée.

Le témoignage de Sylvie VANASSE (disponible sur you tube) a été empreint de sincérité et d’émotion. Se désignant elle-même par le terme « d’ex-victime », elle nous a montré sa force et son courage d’avoir surmonté son statut de victime. Après les 3 sons de cloche rituels de la tradition bouddhiste, Sylvie VANASSE a lu son témoignage, sous la forme d’une lettre personnelle et sincère, adressée aux prisonniers qu’elle avait rencontré dans le cadre des RDV (rencontres détenus-victimes) mais c’est aussi à la société entière qu’elle envoyait son message d’espoir.

Elle nous a démontré que « pardonner ne veut pas dire excuser mais plutôt comprendre. Se comprendre comme victime pour se libérer des émotions négatives et ainsi être en mesure de voir la  souffrance que l’agresseur porte en lui ». C’est, entre autres choses, grâce à la compréhension profonde des racines de la souffrance que le chemin de la réconciliation, de l’ouverture à l’autre est possible.

Elle a bien décrit les sentiments de colère qui l’ont habité pendant longtemps, la honte d’avoir été victime et sa réticence initiale à côtoyer des auteurs dont le délit était apparenté à celui qu’elle avait subi. Elle a aussi parlé de la charge émotionnelle qui se vivait de part et d’autres lors des rencontres RDV ainsi que de son évolution pour se libérer elle-même de sa colère, de sa tristesse, de ses peurs et pour accepter l’autre dans son cheminement. Elle dit être ressortie de ce processus « la tête haute, le corps plus léger et le cœur rempli d’espoir ». Elle a retrouvé le respect d’elle-même et elle a repris possession de son pouvoir de femme puisque qu’elle a pu briser le silence en présence de personnes qui ont accepté de pratiquer la parole aimante et l’écoute bienveillante.

Car c’est bien de ça dont il s’agit avec ces rencontres : reprendre confiance, espoir pour apprendre à vivre librement sans le poids du secret et de la peur.

Mais la justice réparatrice a aussi des effets sur les délinquants.

Le témoignage de Daniel BENSON, « ex-détenu », a été tout aussi sincère dans son approche. Après avoir passé 17 ans en prison et être un détenu sentence à vie, Daniel BENSON a prouvé que l’espoir n’était pas perdu pour tous les détenus qui purgent ce type de sentence.

La justice réparatrice, pour lui, sert à « aller plus loin que l’évènement qui a fait le mal ». En commettant un crime, il ne faut pas oublier qu’il y a une victime mais aussi des victimes collatérales de ce dommage. C’est donc tout un travail de reconstruction pour le délinquant que d’appréhender les conséquences de ses actes mais aussi de les reconnaître et d’apprendre à vivre avec.

En cela, les séances de RDV sont aussi bénéfiques pour les auteurs que pour les victimes dans un but commun de libération émotionnelle. On ne peut pas aider l’un sans aider l’autre car les souffrances qui ont conduit à l’acte doivent être aussi acceptées par le délinquant pour réussir à dépasser cet état de colère et de haine et trouver l’apaisement.

Dans ce sens, Daniel BENSON a souligné le fait qu’il est plus que regrettable que le programme Option-Vie (dont il était un intervenant depuis 11 ans) ait été supprimé en raison de coupures budgétaires. Comment continuer le combat mené et travailler sur la réinsertion de ces détenus sentence à vie si on supprime l’aide apportée et la bonne volonté de tous les intervenants engagés dans la lutte contre la récidive ?

Après une lecture de poèmes accompagnée d’accordéon par  Pascale Matheron, la soirée s’est poursuivie par la « jasette » et le débat qui s’est  déroulé a été très révélateur du débat sociétal sur la question de la punition et de la compréhension de l’autre.

Une grande majorité de personnes ont un regard très tranché sur les délinquants et sur leur prise en charge, ne voyant en eux que des personnes à punir et enfermer. Une intervention a crée un débat profond sur cette question. A l’écoute des réactions, ce qui a été parfaitement démontré, c’est que la punition ne vaut rien si elle n’est pas accompagnée par une réflexion sur l’acte. Quel sens donner à la peine si on ne donne pas aux détenus la possibilité de comprendre leurs actes ? Comme l’a souligné une intervenante, beaucoup d’entre eux ne savent pas ce qui les a conduits en détention. Ils connaissent, bien évidemment, le crime qu’ils ont commis mais les raisons qui les ont poussés à le commettre restent, le plus souvent, obscures. Va-t-on les laisser dans l’obscurité pendant des années et des années en leur enlevant toute chance de comprendre ou va-t-on les aider à sortir de ce trou noir pour faire lumière sur ce qu’ils portent en eux ? Leur laisser la chance de pouvoir exprimer ce qu’ils ont en eux est aussi un moyen de les responsabiliser et de leur faire prendre conscience de leurs actes avec leurs conséquences. Et plus les délinquants pourront donner du sens à ce qu’ils ont fait, moins leur chance de récidiver sera présente.

Du côté des personnes victimes, il a été soulevé combien celles-ci sont souvent isolées dans la société. L’invitation a été lancée à chacun(e), comme citoyen(ne), de s’engager à être à l’écoute et aux côtés d’une personne en souffrance, d’un crime ou d’un conflit.

C’est là toute la question qui renvoie à ce que la société souhaite pour ses détenus et ses victimes mais aussi pour tous les citoyens. Nous devons apprendre à notre société à écouter, à parler et à échanger.

Cette soirée a donné une belle leçon de courage et d’espoir et a démontré que le dialogue et la communication étaient des voies essentielles pour la compréhension de l’autre et faire évoluer les mentalités.

Par son action d’échange, de partage et de dialogue entre les victimes, les délinquants et la société, la justice réparatrice offre un moyen de se libérer d’une souffrance qui a déjà fait trop de dégâts.

C’est une conception humaniste de la justice et de la société nous faisant prendre conscience que, qui que nous soyons, nous sommes avant tout des êtres humains.

En conclusion, chacun de nous, à son échelle, porte en lui cette responsabilité de pouvoir faire avancer les choses. Comme l’a bien dit Laurent CHAMPAGNE « Soyons des multiplicateurs » de cette idée et essayons de porter au mieux les valeurs de cette justice en la partageant avec les autres.

Comme l’a dit Sylvie VANASSE : il faut « cultiver la joie et être pleinement conscient de l’impact de nos gestes et paroles pour faire cesser la violence et faire régner la paix ». Cette soirée aura été le témoignage direct que l’on peut réunir, dans une même pièce, des victimes, des détenus, des citoyens, des intervenants, tout cela dans un même but : Partager et comprendre.

Eloïse Chartier

Autre article paru sur la soirée, sous la plume d’Anne Bourdon, sur le blogue du diocèse de Montréal : 1ère partie, 2e partie.

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