Découvrez le vidéo de l’atelier de feutrage et partage (17 minutes), organisé par le CSJR et Femmes autochtones du Québec, lors de la Commission Vérité et Réconciliation, le 27 avril 2013. Un grand merci à Émilie Martinak pour la réalisation.
La chaîne de télévision Sel et Lumière a présenté le 6 juillet une émission de 30 minutes sur la Commission Vérité et Réconciliation.
D’autres photos sur l’atelier de feutrage en cliquant ici. Ci-dessous plus d’informations générales sur l’événement de la Commission Vérité et Réconciliation.
Quelques notes prises durant l’Événement national de la Commission Vérité et Réconciliation à Montréal, du 24 au 27 avril 2013, par Estelle Drouvin, Coordonnatrice du CSJR
Depuis 2008, une Commission Vérité et Réconciliation a été mise en place dans le cadre de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens (qui ont existé au Canada de 1870 à 1996 et au Québec de 1933 à 1978). Elle est chargée d’organiser des événements à travers le pays pendant 5 ans.
150 000 enfants autochtones ont été enlevés à leur famille et placés dans ces écoles, 30 000 d’entre eux auraient subi des abus physiques ou sexuels. Il y aurait 80 000 survivants au Canada dont 6000 au Québec.
Cri du cœur de la Commissaire Marie-Wilson en ouverture : « Qu’est-ce que ça prend pour que tout le pays réalise qu’on parle ici de l’histoire du Canada et pas uniquement de l’histoire des autochtones ? »
Les témoignages
Les survivants avaient la possibilité de témoigner lors d’audiences privées, d’audiences publiques ou de cercles de partage. C’est avec leurs proches qu’ils montaient sur scène, rappelant l’importance pour eux de la communauté. Des témoignages durs et émouvants à la fois qui finissaient généralement par « Merci de m’avoir écouté ».
Je me souviens de John Cree, le grand chef Mohawk, pleurant lors de la cérémonie d’ouverture de ressentir la peine dans les cœurs. Il nous a rappelé ce que son grand-père disait « Tu es un homme si tu pleures. Tu n’es pas un homme si tu ne pleures pas car c’est que tu as perdu contact avec l’Esprit en toi ». Un autre faisait un parallèle avec des feuillent qui dansent sous la pluie – les larmes sont une manière de faire danser notre cœur et de le laver de sa souffrance.
J’ai entendu des hommes demandaient pardon à leur femme pour la violence qu’ils leur ont fait subir, j’ai entendu des parents demandaient pardon à leurs enfants de n’avoir pas su leur dire « je t’aime », j’ai entendu des enfants comprendre enfin l’histoire de leurs parents et de leur communauté et de réaliser pourquoi leurs parents n’avaient pas joué avec eux enfants, j’ai aussi entendu des survivants avouer avoir éprouvé de la haine pour leurs propres parents qui les avaient laissé partir dans les pensionnats.
Ces histoires de déracinement, d’abus et d’éradication d’une culture ont eu des conséquences dramatiques sur l’identité de ces nations. Comment avancer quand on ne sait plus qui l’on est, quand on nous dit que tout ce qui fait partie de nos racines est honteux. « They really did a number on you. They make me believe that Anishinabe were bad ». “we were prisoners. They were constantly watching you ». « I was like a robot, I burried my feelings », “I didn’t have parenting. I didn’t know parenting.”
Des survivants d’autres génocides étaient présents en solidarité, du Rwanda, des juifs.
Certains restent traumatisés de n’avoir pas su que leur mère était morte, de n’avoir pas pu aller aux funérailles de leur père, d’avoir du boire l’eau des toilettes, d’avoir attrapé une pneumonie tellement elle avait froid à la sortie des douches et devait rester dans les courants d’air…
Les retours ont été difficiles. Les frères et les sœurs étaient devenus des étrangers, les parents ne les reconnaissaient plus. Ils ne se comprenaient plus, certains ne parlant plus la langue de leurs parents.
Des chemins de guérison, propres aux cultures autochtones, ont été empruntées : soutien des Anciens, des rituels, des sweat-lodges, présence des ancêtres, tambours, feu sacré, sac de médecine…
Les gestes de réconciliation
J’ai été touchée par ceux qui disaient ne pas pouvoir pardonner (ceux qui demandent que justice soit faite, ceux qui ont le sentiment de ne toujours pas être respecté par le gouvernement), j’ai été touchée également par ceux qui rappelaient que nous étions tous des êtres sacrés et que nous avions à vivre en harmonie avec toutes les composantes de la création en appelant au pardon.
Un ancien a indiqué que cela avait pris 7 générations pour parvenir à la Commission et qu’il en faudrait peut-être autant pour parvenir à la réconciliation. Pour cela, 7 valeurs (représentées dans le logo de la Commission Vérité et Réconciliation) seront nécessaires, avec en premier lieu l’humilité et la persévérance.
Des gestes de réconciliation ont été offerts aux Commissaires et placé dans une boîte sillonnant le pays, et dont le contenu fera l’objet d’un Centre permanent de recherche.
Exemples : Châle remis par le CSJR à la suite de l’atelier de feutrage entre autochtones et non-autochtones, « rockassin » : pierre avec un mocassin peint dessus pour se rappeler de ne jamais juger qqn avant d’avoir emprunté ses mocassins et d’avoir marché avec.
Deux témoignages particulièrement émouvants :
– Celui de Margaret Tourville qui confie que dès l’âge de 12 ans, elle a été abusée sexuellement les soirs à 11h, une fois par mois. Aujourd’hui encore elle dit avoir peur à 11h du soir. L’agresseur avait une odeur de cigare, ce qui signifiait qu’il s’agissait d’un évêque. Savait-elle que juste assis derrière elle dans le cercle de partage un autre évêque, Christian Lépine, l’écoutait le cœur serré ? Son drame : être tombée enceinte, avoir accouché, entendu le bébé pleurer et s’être faite dire qu’il était mort. Les viols ont continué, cette fois-ci par un prêtre qui buvait du vin et lui en donnait un verre à chaque fois. Elle était devenue alcoolique lors des pensionnats.
– Celui de Marcel Petikwe (attikamek) et sa petite valise (remplie d’amour par sa mère pour aller au pensionnat, mais revenue chargée de haine et de colère). Lui et sa famille sont montés sur scène avec la Révérende anglicane de Québec avec une autre valise. Le pensionnat dans lequel il était appartenait à l’Église anglicane. Ils ont mis dans cette valise ce qu’ils souhaitent faire ensemble pour la réconciliation : des demandes d’excuses dans les différentes langues autochtones, un contrat signé qui engage à Marcel à venir parler de cette histoire aux nouvelles générations, un engagement de l’Église à financer un programme de prévention du suicide chez les autochtones…).
Les aires d’écoute des Églises et les archives photos
Les Églises catholique, unie, anglicane et presbytérienne, ainsi que des communautés religieuses, étaient présentes avec les archives photos des pensionnats. Des représentants de ces Églises étaient présents pour rencontrer les survivants et écouté ce qu’ils avaient à dire.
Dans cet espace des aires d’écoute des Églises, j’ai vite réalisé que nous étions en terrain sacré. Les émotions étaient vives. Elles allaient de la joie de retrouver d’anciens camarades sur les photos et en réalité, à l’émotion de se retrouver sur les photos lors des spectacles de danse ou les parties de chasse. Il y avait aussi de la tristesse en revoyant les photos de ceux qui ne sont pas revenus (4134) et de la colère en repassant à cette période.
J’ai pris conscience de l’importance de respecter cette terre sacrée d’un passé réouvert. Tel un animal, je me sentais sur le terrain d’un autre, à l’affut des signes exprimant un désir de rencontre ou au contraire une mise à distance. Il est si facile de ne pas être attentif à l’environnement dans lequel nous pénétrons. J’ai été interpelée par deux religieux qui arrivaient dans l’aire en parlant fort, en riant, visiblement heureux de se retrouver. Cela éveilla des regards de colère de la part de survivants plongés douloureusement dans leurs souvenirs. N’oublions pas de nous mettre dans les mocassins de l’autre et d’avancer à pas feutré.
J’ai été heureuse d’apprendre que certains survivants qui avaient refusé tout contact avec des religieux, ceux-ci représentant les abus subis et canalisant toute leur colère, ont fini par oser la rencontre. Quelques face-à-face ont eu lieu. Je salue le courage des religieux présents qui ont accepté de faire face à l’histoire de leur congrégation et d’accueillir les survivants avec toute leur colère. Puisses ces quelques rencontres portaient des semences de libération.
Les rituels et symboles
– Le projet Wampum
Une ceinture wampum, comme celle réalisé lors des traités anciens, a été réalisée sur plusieurs mois. Nous étions chacun invités à mettre une intention dans une des perles. Quatre personnages (race) se tiennent par la main avec le feu sacré au milieu.
– Le feu sacré
Il a été allumé au lever du soleil mercredi par Peter, le gardien du feu algonquin, sur la place du Canada, grâce au permis de Cercle de paix. Ironie de l’histoire, le feu a été allumé dans le dos de la statut de John Mac Donald qui a confié les pensionnats résidentiels aux Églises. Les cendres du feu circulent d’une ville à l’autre depuis le début de la Commission. Il est resté allumé les 4 jours… puis les cendres ont été confiées à la délégation de Vancouver qui accueillera en septembre le prochain événement national.
– Les kleenex
Les mouchoirs utilisés lors de la Commission étaient placés dans des corbeilles et apportés en offrande au feu sacré.
– Le soutien de Santé Canada et des Anciens
Des équipes de psychologues, personnes en relation d’aide et des anciens étaient présents en permanence auprès de ceux qui témoignaient et de ceux qui écoutaient. Il était touchant de voir l’attention et la bienveillance. Des anciens avec leur plume d’aigle mettaient leurs mains sur les épaules ou la tête de la personne qui témoignait pour lui permettre de se libérer.
– La marche des survivants
De la place du Canada à l’hôtel Reine Elizabeth, au rythme des tambours et des chants, les survivants ont marché, précédé par les représentants des institutions et des Églises.
– La présence des enfants morts dans les pensionnats
4134 enfants ne sont pas revenus. Une chaise vide le rappelait. Leurs esprits étaient présents. En clôture, un chant-prière au tambour les a remerciés d’avoir été là et leur a souhaité un bon voyage de retour. Un souhait est formulé de commémorer une fois par an leur souvenir.
– La célébration des anniversaires
Aucun anniversaire n’était célébré dans les pensionnats. Un homme confie qu’il a fêté pour la 1ère fois son anniversaire à 28 ans. La Commission a choisi de clôturer sur une célébration de tous les anniversaires des survivants : cartes réalisées par les enfants des Églises, gâteaux faits par les Églises, sticks de lumières, chants d’anniversaire dans les différentes langues autochtones, feux d’artifice sur les écrans.