Clôture de la Commission Vérité et Réconciliation

31 mai 2015

Quelques membres du CSJR étaient présents lors de la marche de réconciliation qui s’est tenue le 31 mai entre Gatineau et Ottawa, à l’occasion de la clôture de la Commission Vérité et Réconciliation. 7000 personnes se sont déplacées à cette occasion. Une belle diversité dans l’unité d’un même désir, celui de la réconciliation.

Les trois commissaires ont remis leur rapport, comportant 94 recommandations, au premier Ministre après 6 ans d’enquêtes visant à faire la lumière sur la réalité vécue dans les pensionnats résidentiels autochtones (150 000 enfants y ont séjourné souvent de force, 4000 y sont décédés).

Reste maintenant à avancer concrètement vers la mise en oeuvre de ces recommandations. Comme les commissaires le soulignent dans leurs conclusions (ci-dessous): « Les Canadiens et les Canadiennes ont dès maintenant la possibilité de mettre l’épaule à la roue, de contribuer à la réconciliation et de remodeler le visage de notre pays. »

Article « Une commission pour faire la paix des âmes » paru dans Le Devoir, 31 mai 2015, par Hélène Buzetti.

Rappel de notre participation à la Commission Vérité et Réconciliation lors de son passage à Montréal.

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Conclusions du rapport préliminaire

 Il ne saurait y avoir réconciliation sans une compréhension préalable de la raison d’être, du fonctionnement et des conséquences globales du réseau des pensionnats. La Commission en est arrivée dans le cadre de ses travaux à un certain nombre de conclusions au sujet du réseau des pensionnats indiens. L’histoire racontée dans ces pages amènera de nombreux Canadiens à voir leur pays d’un autre œil. Cette histoire nous met en face de dures réalités, mais il est essentiel de se confronter à ces réalités pour pouvoir jeter les bases d’une vraie réconciliation.

La Commission a conclu que :

1) les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre les enfants autochtones;
2) les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre les familles autochtones;
3) les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre la culture autochtone;
4) les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre des nations autochtones autonomes et autosuffisantes;
5) la mise en place du réseau des pensionnats indiens a eu des conséquences immédiates, qui n’ont cessé de se répercuter depuis les premiers jours;
6) les Canadiens n’ont jamais reçu d’éducation complète et équilibrée sur la nature des sociétés autochtones et l’histoire des relations entre les peuples autochtones et non autochtones.

1) Les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre les enfants autochtones.

Les pensionnats indiens séparaient les enfants de leurs parents sans leur fournir les soins physiques, le soutien affectif et la supervision nécessaires.

En raison de ce manque de soins et de supervision, les élèves des pensionnats ont souvent été victimes d’une négligence institutionnalisée, de châtiments corporels excessifs, ainsi que de violence physique, sexuelle et psychologique.

En raison de leur sous-financement chronique, les pensionnats étaient tributaires du travail des élèves.

Plusieurs générations d’enfants ont été traumatisés par les expériences qu’ils ont vécues dans les pensionnats : du fait d’avoir été victimes de sévices, d’avoir été témoins de sévices ou d’avoir été forcés de participer à la perpétration d’actes de violence.

Tous ces facteurs ont contribué aux taux de mortalité élevés, au piètre état de santé, et au faible rendement scolaire des élèves des pensionnats.

2) Les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre les familles autochtones.

Le réseau des pensionnats indiens a été mis en place dans l’intention avouée d’empêcher les parents d’influer sur le développement scolaire, spirituel et culturel de leurs enfants. Non seulement les pensionnats ont-ils séparé les enfants de leurs parents et de leurs grands-parents, mais aussi, du fait de la séparation rigoureuse des filles et des garçons, les soeurs de leurs frères. Les enfants plus âgés étaient aussi séparés de leurs frères et soeurs plus jeunes.

Le passage de chaque nouvelle génération dans le réseau des pensionnats donnait lieu à un affaiblissement des liens familiaux qui, à la longue, s’est soldé par la destruction virtuelle de ces liens.

Étant donné les taux de mortalité élevés enregistrés pendant la majeure partie de l’histoire des pensionnats, nombre de parents ont passé leur vie à pleurer la mort d’un enfant, sans jamais savoir dans quelles circonstances il était mort ni où il avait été enterré, et sans pouvoir tenir de cérémonie mortuaire appropriée.

3) Les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre la culture autochtone.

Le réseau des pensionnats indiens avait pour objet de « civiliser » et de « christianiser » les enfants autochtones, en substituant les valeurs euro‑canadiennes aux valeurs culturelles autochtones.

Le réseau des pensionnats indiens a déprécié et réprimé la culture et les langues autochtones. En inculquant aux élèves la honte de leurs origines, le système a sapé leur fierté et leur estime de soi. Il les a du même coup empêchés de bénéficier des avantages économiques et culturels associés à la connaissance de deux langues.

4) Les pensionnats indiens ont représenté un assaut contre des nations autochtones autonomes et autosuffisantes.

Le réseau des pensionnats indiens avait pour objet d’assimiler les enfants autochtones au sein de la société canadienne, assimilation qui devait permettre au gouvernement de démembrer les réserves et de se délester de ses obligations en vertu des traités. Les pensionnats s’inscrivaient donc dans une politique plus générale visant à saper l’autorité des leaders autochtones et les assises de l’autonomie gouvernementale.

5) La mise en place du réseau des pensionnats indiens a eu des conséquences immédiates, qui n’ont cessé de se répercuter depuis les premiers jours.

Non seulement les pensionnats ont-ils porté préjudice aux élèves qui les ont fréquentés, mais ils ont eu des effets dommageables sur les familles, les communautés et les cultures. Les élèves ont été coupés de leur famille et de leur communauté; la transmission de la langue, de la culture et des valeurs spirituelles a été perturbée; les enfants ont reçu une éducation ne les préparant ni à adopter le style de vie traditionnel ni à saisir les nouvelles possibilités économiques (qui étaient souvent limitées); les compétences parentales se sont perdues; enfin, ils ont donné lieu à l’apparition de nombreux problèmes qui affligent encore de nos jours les communautés autochtones.

Les séquelles des pensionnats ont eu des répercussions sur tous les aspects de la vie des anciens élèves, notamment leur vie professionnelle et leurs interactions avec les agences d’aide sociale, l’appareil judiciaire et le système de soins de santé. Non seulement ces séquelles ont-elles pesé lourd sur la vie des survivants, mais elles ont eu une incidence sur leurs interactions avec leurs enfants et leurs petits‑enfants — les survivants intergénérationnels. Les conséquences des pensionnats se répercutent encore dans toutes les communautés autochtones du pays.

6) Les Canadiens n’ont jamais reçu d’éducation complète et équilibrée sur la nature des sociétés autochtones et l’histoire des relations entre les peuples autochtones et non autochtones.

Les Canadiens, en général, ont été amenés à croire — par ce qu’on leur a enseigné et ce qu’on ne leur a pas enseigné en classe — que les peuples autochtones étaient et sont toujours barbares, primitifs et inférieurs, et qu’ils ont toujours besoin d’être civilisés.

Les Canadiens n’ont pas eu accès à une formation complète et adéquate sur la nature des sociétés autochtones. Ils sont mal renseignés sur la nature de la relation établie à l’origine entre les peuples autochtones et les peuples non autochtones ainsi que sur la façon dont le colonialisme et le racisme ont modifié cette relation au fil du temps. Cette éducation lacunaire et la diffusion de ces renseignements erronés ont constitué un ferment de mésentente et, dans certains cas, d’hostilité entre les Canadiens autochtones et les Canadiens non autochtones sur bien des questions d’importance.

Il faudra du temps et de nombreux efforts pour se défaire de cet héritage. De même que la période d’activité des pensionnats au Canada s’est étendue sur plus d’un siècle, le processus de réconciliation devra s’échelonner sur plusieurs générations. Il faudra du temps pour rétablir le respect. Une vraie réconciliation doit permettre aux peuples autochtones de retrouver leur estime de soi et d’établir avec les peuples non autochtones des relations reposant sur le respect mutuel.

Dans ses prochains rapports, la Commission de vérité et réconciliation formulera des recommandations sur les mesures à prendre pour favoriser la réconciliation.

Il y a trois points que nous aimerions souligner auprès des lecteurs.

Le premier est que cette histoire met aussi en scène des héros. Le travail de rétablissement de la vérité, de guérison et de réconciliation a été amorcé il y a plus de deux décennies par les personnes mêmes qui, dans leur enfance, ont été victimes de ce système. Ces personnes continuent de s’attaquer à la pénible tâche de partager leurs expériences et, ce faisant, contribuent à l’émancipation de leurs enfants, de leurs communautés et de leur pays.

Le deuxième est évident : une commission comme la nôtre ne constitue pas en elle-même un gage de réconciliation. Réconciliation et relations vont de pair. Les pensionnats indiens ont gravement perturbé les relations au sein des familles et des communautés autochtones, entre les peuples autochtones et les Églises, entre les peuples autochtones et le gouvernement, et entre les peuples autochtones et non autochtones au sein de la société canadienne. Les commissaires estiment que ces relations peuvent et doivent être rétablies. La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens permet d’aller de l’avant avec ce processus en reconnaissant officiellement la nécessité de tourner la page sur le passé. Pour aboutir, le processus de réconciliation devra pouvoir miser sur l’engagement sans réserve des personnes en cause et la participation sincère de la société. Certains de nos concitoyens, les survivants et leurs familles, doivent composer avec les conséquences directes des pensionnats. Il faudra être particulièrement à l’écoute de leurs besoins. Il faut prendre acte des différends auxquels le régime des pensionnats a donné naissance au sein des communautés et les régler. Il incombe aux Églises de définir le rôle qu’elles doivent jouer dans ce processus alors que les peuples autochtones se réapproprient les éléments de leur patrimoine qu’ils valorisent. La réconciliation exigera également une transformation des relations entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada. Les gouvernements tant fédéral que provinciaux ont historiquement traité les Autochtones comme des assistés sociaux. Cette approche omet de reconnaître le statut juridique unique des peuples autochtones au Canada en tant que peuples d’origine de notre pays. Sans cette reconnaissance, nous risquons de perpétuer les politiques d’assimilation et les préjudices sociaux intrinsèquement associés aux pensionnats indiens.

Enfin, les personnes désireuses de participer au processus de réconciliation n’ont aucunement à attendre la publication des rapports définitifs de la Commission. Les Canadiens et les Canadiennes ont dès maintenant la possibilité de mettre l’épaule à la roue, de contribuer à la réconciliation et de remodeler le visage de notre pays. En sa qualité de chef de l’assemblée des Premières Nations, Phil Fontaine faisait remarquer, lorsqu’il a accepté les excuses présentées par le Canada en juin 2008 : «Ensemble nous pouvons accomplir les grandes choses que notre pays mérite ». Il nous appartient de relever ce défi et d’unir nos efforts afin de mener cette tâche à bien.

Juge Murray Sinclair, Président, Commission de vérité et réconciliation du Canada

Chef Wilton Littlechild, Commissaire, Commission de vérité et réconciliation du Canada

Marie Wilson, Commissaire, Commission de vérité et réconciliation du Canada

 

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