
Et si l’art contribuait à la guérison de soi et des autres ?
Une quarantaine de personnes, en présence ou en ligne, ont cherché à répondre à la question par un podcast vivant intitulé Quand l’art et la justice réparatrice se rencontrent. L’évènement s’est déroulé le 17 mai à la Maison du développement durable, à Montréal, à l’occasion de la Semaine des personnes victimes et survivantes d’actes criminels. L’événement avait l’appui de Justice Canada.
Trois invités ont alimenté la discussion autour de Catherine Ego, animatrice radio, traductrice et animatrice des ateliers Guérison des mémoires : Geneviève Rioux, écrivaine, doctorante en psychologie et porte-parole du CSJR, Dany Boudreault, comédien, auteur et enseignant, et Marie-Stéphane Rainville, co-présidente du CSJR, qui a participé à une démarche de justice réparatrice.
Un chemin à rebours
Il est possible de rester vivante après un traumatisme si on partage notre expérience à d’autres, fait valoir Geneviève Rioux, qui a été victime d’une tentative de meurtre. L’écriture est un chemin qu’elle a choisi pour relire cette histoire douloureuse et se réapproprier un certain pouvoir sur les événements.
Par la parole, l’écriture, le théâtre ou toute autre forme artistique, notre identité est en mouvement, dit-elle, ce qui facilite la sortie du sentiment de survie.
La démarche de justice réparatrice implique toutefois de retourner là où l’on a souffert, car c’est là le chemin. Un chemin à rebours, mouvant et instable, certes. La différence cependant, comme le précise Estelle Drouvin, directrice de l’organisme, c’est que désormais on ne le foule plus seule, mais soutenue et accompagnée, sous le regard bienveillant de la communauté, la justice réparatrice offrant un contexte sécuritaire pour avancer.
Pour Dany Boudreault, le dialogue avec soi, l’autre et le monde constitue la base de toute activité artistique. « La justice réparatrice aussi est une rencontre entre deux humanités. » Au terme d’un long processus, on découvre par exemple qu’un délinquant est souvent une victime non réparée, précise-t-il. Le comédien incarne Rémi Duguay dans la série télévisée Mea Culpa, réalisée par Chantal Cadieux, présente dans l’assistance. Il précise d’ailleurs que grâce à la série, la justice réparatrice s’est faite connaître dans les foyers du Québec. On voit ici que l’on rejoint un grand nombre de personnes par l’art.
Devenu tétraplégique après une agression, le personnage fait face à son agresseur en liberté conditionnelle (David Fraser). Émerge alors, au terme d’une laborieuse démarche, leur commune humanité lorsque, par exemple, ils se découvrent tous deux en prison : l’un captif dans son corps, l’autre freiné dans sa pénible remontée vers la réinsertion sociale. L’expérience de justice réparatrice n’est-elle pas celle « d’une justice cicatrisante », demande Dany Boudreault ? Tout comme l’art, elle a aussi une fonction d’apaisement social.



Réparer, préparer…
Le traumatisme, je l’ai d’abord vécu dans la solitude, relate Marie-Stéphane Rainville, qui a été victime d’un acte criminel. Et puis un jour arrive la justice réparatrice. « Un cadeau plus grand que celui auquel je m’attendais : rencontrer des personnes qui avaient commis des crimes et qui reconnaissaient d’emblée leur responsabilité. Ce que je n’avais jamais vu, entendu et senti auparavant. J’ai rencontré des personnes de bonne volonté et prêtes à faire tout ce qui était en leur pouvoir pour aider les autres personnes qui avaient subi des préjudices. J’ai été entendue vraiment, écoutée. Et j’ai pu poser mes questions, les grandes interrogations qui me restaient. » S’ensuit une reprise progressive de pouvoir sur sa vie, après avoir traversé tout l’arc-en-ciel des émotions. En sachant cependant qu’on ne peut pas déterminer d’avance ce qui apportera un peu de guérison dans nos rapports mutuels.
Et l’art dans tout ça ? L’art, selon Marie-Stéphane, fait de l’espace, amène à respirer et ouvre d’autres portes. Avec l’art, dit-elle, ça me rejoint plus directement, je comprends les choses plus directement.
La créativité a d’ailleurs une place à part entière dans les processus de justice réparatrice, puisque l’art y est utilisé.
Une question est posée : que faire après un traumatisme? Réparer, c’est aussi préparer. Préparer la suite, qui peut inclure l’enjeu du pardon. L’assistance a livré à ce propos des avis contrastés. Pourquoi pardonner si l’agresseur ne le demande pas ? A-t-on vraiment besoin du pardon pour s’apaiser et tourner la page ? L’important, n’est-ce pas d’établir clairement les responsabilités mutuelles ? Un consensus a surgi : pardonner, ce n’est pas oublier. Et selon une personne ayant été victime présente dans la salle, le simple fait d’entrevoir qu’un homme ayant commis un crime a changé peut constituer l’amorce d’une guérison.
Créer un espace pour écouter l’autre autrement, pour se raconter ensemble, voici une voie d’avenir. L’art de la relation humaine ! Dominique, alias Micky McLaughlin, illustre la justice en mouvement à l’aide de l’art numérique. La co-présidente du conseil d’administration du CSJR a exposé ses oeuvres lors de la rencontre. L’artiste y met en valeur le mystère de la métamorphose : je deviens qui je suis en rencontrant l’autre, en partageant nos souffrances. L’art, disait un poète, n’est-il pas le meilleur témoignage que nous pouvons donner de notre dignité ?
Michel Dongois, membre du CSJR
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Le Centre de services de justice réparatrice remercie vivement le Ministère de la justice du Canada pour son soutien financier dans la réalisation de cet événement.