Comme chaque année, l’Oratoire Saint-Joseph a ouvert ses portes aux organisateurs de la Semaine nationale de justice réparatrice à Montréal (le Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, le Centre de services de justice réparatrice, l’Aumônerie communautaire de Montréal et Montreal Southwest Community Ministries). Les 4000 pèlerins ont été sensibilisés durant toute la journée à cette forme de justice qui insiste sur la dimension humaine et le lien social à restaurer après un crime.
Une centaine de personnes se sont retrouvées pour célébrer l’ouverture de la Semaine. Un repas a permis de se retrouver de manière conviviale et de permettre des rencontres significatives, au-delà parfois de nos murs de peurs et de préjugés
La troupe de théâtre Ollin transformation est alors entrée en scène. Chaque comédien a partagé un court récit de sa vie sur le thème de la Semaine « des besoins diversifiés, des interventions sur mesure ». Très vite, l’audience a été interpelée à faire de même. Des histoires fort touchantes ont été écoutées et mises en scène. Émotions et prises de conscience garanties. Voici quelques-unes d’entre elles (les prénoms sont fictifs pour protéger l’identité des personnes).
Il était une fois… Alexis… il y a 31 ans
Alexis avait alors 21 ans. Il venait d’être incarcéré depuis 2 ans, quand une émeute s’est déclenchée dans l’établissement où il se trouvait. Deux détenus avaient décidé de s’enfuir et avaient pris en otage des gardiens qu’ils ont tués. Tous les détenus se sont retrouvés coincés dans la cour à devoir prendre partie. C’était une question de vie ou de mort. Paniqué, Alexis a eu peur de ne pas survivre dans cette jungle. Il reconnaît avoir participé au saccage matériel de l’établissement. Cette violence gratuite était alimentée par cette peur terrible qui l’habitait alors, lui qui se sentait si petit et vulnérable.
Les conséquences ont été terribles : l’armée a débarqué, 5 morts ont été constatés, les passages à tabac des prisonniers durant les trois semaines qui ont suivi… et la cristallisation chez Alexis d’une carapace de « brute » pour résister et sauver sa vie.
Après 33 ans de prison, Alexis vient de sortir. Il est aujourd’hui capable de témoigner, de laisser s’exprimer ses émotions en regardant les comédiens mettre en scène sa propre histoire, et de remercier avec gratitude ceux et celles qui l’ont aidé à être celui qu’il est aujourd’hui (« les bénévoles », comme il les appelle). Cette gratuité de leur geste et leur attitude emprunte d’amour et de bienveillance lui ont permis de s’ouvrir et de dire Non à l’alcool depuis 10 ans et à la violence dans laquelle celui-ci le plongeait.
Jill Strauss, du Digital Storytelling Centre de l’Université Concordia, remarque : Alexis ne voulait pas prendre le micro en racontant son histoire, c’est le directeur de la troupe de théâtre qui lui a tenu. Après avoir vu son histoire mise en scène, et avoir laissé s’exprimer l’émotion en lui, il a saisi le micro pour remercier la personne qui l’aide à cheminer et a annoncé fièrement que plus jamais il ne retournerait en prison. Sa voix était forte, il reprenait du pouvoir sur sa vie.
Il était une fois… José… il y a 6 mois
José préparait dernièrement sa sortie d’établissement. Il faisait ses recherches pour un appartement. Un échange téléphonique avec un propriétaire qui refusait de lui louer un appartement en raison de son passé criminel l’avait rendu furieux. Il ne voyait pas comment il allait pouvoir réinsérer la société si tout le monde le stigmatisait continuellement, alors qu’il avait purgé sa peine.
Margaret, une bénévole qui l’accompagne, lui a alors suggéré de ne pas rester avec cette frustration vis-à-vis de cet homme à qui il avait téléphoné…. Mais plutôt de le rencontrer d’humain à humain. C’est ce que José a accepté de faire, malgré quelques résistances intérieures. Il l’a rappelé pour demander à le rencontrer, non plus pour l’appartement (il en avait trouvé un entre temps), mais pour mieux le connaître et se présenter à lui. L’échange frileux du départ s’est transformé en une belle relation pleine d’empathie, de respect et d’honnêteté. Aujourd’hui, José est devenu un de ses salariés. Il remercie chaleureusement Margaret présente dans la salle qui lui a permis de changer son regard sur cet homme, et de faire tomber quelques étiquettes vis-à-vis des personnes incarcérées.
Les comédiens construisent un mur avec des cubes. Chacun se parle de part et d’autre. Puis les cubes tombent un à un, les acteurs se tournent face-à-face, les regards se croisent, les mains se serrent… La rencontre se produit !
Il était une fois… Carole… aujourd’hui
Carole, bénévole en établissement, vient partager l’histoire de quelqu’un qui est présent mais n’ose le faire. Elle donne sa voix à celui qui est aujourd’hui sans-voix. Elle raconte leur première rencontre… comment cet homme détenu se sentait « écrasé » d’abandonner sa femme en dépression… comment elle s’était senti impuissante devant sa souffrance… comment ils avaient fini par prier ensemble. Puis elle partage leur deuxième rencontre en cette ouverture de la Semaine… combien elle est touchée de le revoir toujours souffrant. Parler de son histoire à lui, est sa manière à elle de vouloir l’aider, de lui dire qu’il n’est pas seul à la porter.
La personne anonyme présente dans la salle confiera que cette démarche de Carole l’a beaucoup touché et que la mise en scène de son désarroi lui a permis de prendre conscience des émotions qui l’habitent. Il sait que quelque chose s’est ouvert en lui et qu’il va avoir à revenir sur ce qu’il a vécu à son retour en établissement.
La journée s’est conclue par une ovation de la troupe et des personnes qui ont accepté de partager leur histoire. L’émotion était palpable. Les liens étaient resserrés. Nous venions de vivre un moment intense de communion.
Estelle Drouvin – novembre 2012