Rencontre avec Laurien Ntezimana du Rwanda

11 octobre 2012

Mercredi 10 octobre 2012 : le Centre de services de justice réparatrice accueille Laurien Ntezimana de passage à Montréal.

Une plongée au cœur de l’humain et d’une humanité qui « danse ensemble ».

Laurien nous parle avec conviction et profondeur du travail réalisé par l’Association Modeste et Innocent (AMI) au Rwanda. Une association qui porte le nom de deux des compagnons –décédés – avec qui il avait travaillé au Service d’Animation Théologique du Diocèse Catholique de Butare entre 1990 et 1999.

Revenir à l’humain, à notre commune humanité, voici la « colonne vertébrale » qui donne vie à l’AMI : un projet ô combien « révolutionnaire » qui a valu à Laurien quelques mois de prison.  Le mot « bonheur » en Kinyarwanda est le même qui signifie « verticalité », représentant une personne debout avec la tête vers le ciel. À l’inverse, le mot « source de malheur » est représenté par une personne qui a la tête vers le bas. « Je suis à l’envers quand une richesse matérielle ou le pouvoir a plus de valeur pour moi qu’un être humain », précise Laurien. Comment alors retrouver sa verticalité ?

Son slogan : « Ce qui nous unit est de loin plus important que ce qui nous oppose ». Une vision de société dont les valeurs rejoignent celle de la justice réparatrice. Une démarche pragmatique inspirante qui cherche à répondre aux besoins constatés sur le terrain pour y répondre de manière citoyenne et collective, avec bonté et gratuité selon l’approche Unbuntu de la réconciliation.

Et les projets ne manquent pas : clubs « speak » dans les écoles pour inviter les jeunes à parler avec sincérité et ne pas tomber dans le mensonge qui imprègne encore la société rwandaise, programme de formation à la citoyenneté, sur la santé mentale ou encore les violences familiales, formation d’animateurs pour des « remboursements concertés » (une vraie source de conflits à la suite du génocide, le remboursement des biens endommagés étant un défi quotidien pour de nombreuses familles).

C’est surtout d’un tout récent projet de formation en milieu carcéral que nous avons échangé avec Laurien. C’est à Butare que l’initiative a commencé en juillet dernier. Plusieurs groupes de détenus (reconnus comme des leaders par leurs pairs), et regroupés par groupe de 24, se sont engagés dans un programme de 3 ans, à raison de deux séances hebdomadaires. Objectif : Devenir plus humain. Un programme qui cherche à « détordre » pour permettre à une personne d’être qui elle est vraiment (en kinyarwanda, le mot « détenu » signifie « celui qui est tordu et doit être rectifié »).

Le programme longuement mûri, et enrichi de nombreuses pratiques et recherches internationales, s’intéresse aux quatre plans de l’être :

  • physique, en activant le corps énergétique grâce à des exercices de Qi gong et de respiration,
  • émotionnel, par la gestion des émotions et la pacification du cœur,
  • mental, par la déprogrammation des préjugés et des étiquettes et une reprogrammation basée sur des croyances orientées vers la vie,
  • spirituel, pour reconnecter à la Source de Vie unique qui nous unit, tout en permettant que chacun ait sa couleur propre (à l’image d’un arc-en-ciel formé grâce à la Lumière qui pénètre un prisme).

D’ores et déjà des transformations opèrent. Dans un récent livre paru en Suisse, et intitulé « Dépasser la haine. Construire la paix », Laurien partage son vécu « celui qui a provoqué le génocide est en chacun de nous ; il s’appelle « ego » ». Les autorités s’intéressent au projet. Suivant les résultats obtenus, celui-ci pourrait être étendu. Et les besoins sont bien là. Aujourd’hui encore, le Rwanda compte près de 40 000 détenus (sur environ 10 millions d’habitants)… beaucoup moins qu’après le génocide où 900 000 personnes étaient incarcérées, mais cela demeure un fort pourcentage de la population (pour comparaison, au Canada, il y a 15 000 détenus au niveau fédéral sur 33 millions d’habitants).

« L’humain ne peut être déshumanisé que par ton regard », rappelle Laurien. Le magnifique travail réalisé par son organisme sur le terrain invite justement à être attentif au regard que l’on porte sur soi et sur l’autre, en tant que personne et en tant que société. Un message universel qui nous interpelle toutes et tous !

Estelle Drouvin, Coordonnatrice du CSJR

 

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